Préavis de mort - Ikigami
27 mai 2013Avec Savage Worlds, vous pouvez aussi faire jouer un seul joueur en one-shot, sans même faire référence au narrativisme. L'univers d'Ikigami se prête à moult expériences pour les rôlistes qui veulent jouer autrement. Pour la suite de la lecture, le MJ devient le livreur d'ikigami, et le joueur incarne le porteur d'ikigami.
La loi de prospérité nationale oblige chaque nouveau-né du pays à recevoir une piqûre. Entre 16 et 25 ans, si vous avez été piqué, vous avez une chance sur un million de mourir à une date fixée par le gouvernement. Ce dernier vous avertit de votre mort 24 heures avant votre décès. Dans ce laps de temps, si vous ne commettez aucun acte répréhensible, votre famille recevra les honneurs ainsi qu'une aide financière. Si vous commettez des crimes ou des délits, ils jetteront le discrédit sur votre famille.
Cette adaptation vous propose d'incarner un de ceux qui reçoivent les préavis de mort. S'imprégner des coutumes japonaises concernant les rapports filiaux ou le poids de la réputation est forcément nécessaire pour apprécier l'expérience de jeu : une façon de jouer traditionnelle, avec un PJ qui va chercher à se faire injecter un anti-poison ou aller commettre les pires atrocités juste pour le fun, ferait vite perdre l'intérêt ludique du scénario. A la manière d'un L5R, le personnage se retrouve sur un choix limité de réactions dictées par sa position sociale (adolescent pas encore autonome) et son éducation (la loi de prospérité nationale est bonne pour le pays, il ne faut pas jeter le déshonneur sur sa famille ou son patron, etc.). Le manga présente la plupart des comportements attendus par ceux qui recoivent l'ikigami. L'interprétation la plus gratifiante me semble être de respecter la plupart, et d'outrepasser le reste : mourir tel qu'on s'y attend n'a pas d'intérêt narratif, et jouer les rebelles absolus peut se faire dans n'importe quel univers.
Le porteur d'ikigami
Pour un one-shot, pas besoin de passer des heures devant la feuille de personnage. La partie commence par un bruit de sonnette à la porte : un livreur vous apporte l'ikigami.
Vous avez juste besoin de connaître vos attributs, vos handicaps et éventuellement vos atouts professionnels. Durant la partie, vous pouvez demander au MJ de prendre des Atouts ou de nouveaux Handicaps au moment de les introduire dans votre description. Même chose pour vos compétences, prenez les au fur et à mesure, jusqu'à concurrence des 15 points bien entendu.
Oui, votre personnage va mourir à la fin de l'histoire. Comme dans toute tragédie, ce n'est pas le fait de savoir qui meure qui est important, mais ce qu'il va faire de sa vie restante. Jouez vos conflits moraux, donnez au MJ les faiblesses psychologiques de votre personnage, et obligez-le à les incarner. Créez vos amis, vos ennemis, votre famille proche ou lointaine, votre environnement de travail, et donnez-les au MJ. Quand tout se petit monde cherchera à savoir ce que vous faites, c'est là que vous pourrez vous demander ce que votre personnage veut vraiment faire avant sa mort.
Le livreur d'Ikigami
Le maître de jeu n'a pas moins de travail que le joueur. Au départ, il doit s'intéresser au livreur de l'ikigami. Créer un extra, lui donner une personnalité. Les questions à se poser sont les suivantes :
- Par rapport au respect des 24 heures, le livreur sera t-il scrupuleux ou non ? Si le PJ ne se trouve pas à son domicile, fera-t-il les efforts nécessaires pour donner l'ikigami en personne ?
- Par la suite, le livreur aura-t-il tendance à suivre le parcours du porteur d'ikigami ? à intervenir pour faciliter les dernières volontés du porteur et/ou de l'entourage du porteur ? (dans le manga, le livreur pousse un hopital à retarder toutes les pendules d'une heure pour que la soeur du porteur accepte de se faire opérer des yeux).
- Est-il surveillé par le gouvernement ? s'il en aperçoit, est-ce que cela peut modifier son comportement défini au second point ?
La première question est fondamentale, car elle va tout de suite influer sur l'histoire et sur les motivations du PJ. Les deux autres questions sont à garder en tâche de fond, à moins que le MJ, voyant que le joueur n'a pas réussi à embarquer dans une histoire correcte, décide de faire déborder l'histoire du livreur sur celle du porteur. Le livreur a lui aussi une pression et un rôle dans l'histoire, même s'il ne meurt pas à la fin. Il peut craquer et prendre un porteur d'ikigami en otage ou ne pas livrer l'ikigami... Ce genre d'options ne me paraît intéressant qu'après un ou deux one-shots centrés sur le porteur.
Le second travail du MJ est de donner vie à l'entourage proche ou moins proche du PJ. Son père et sa mère, bien sûr, car ce sont les personnes les plus impliquées pour un adolescent qui vit encore chez ses parents. Certains porteurs travaillent, mais commencent dans la vie active. Ils ont donc souvent beaucoup de rêves ou d'ambition, mais font des jobs dévalorisants ou sans considération. Le patron peut être aussi le père ou la mère, ce qui peut accentuer les difficultés du jeune à s'émanciper (cf. le fils de la femme politique dans le manga).
A l'âge des porteurs d'ikigami c'est aussi le début des relations d'amour sérieuses, des amitiés qui s'éloignent avec l'arrivée des responsabilités, des hobbies qui deviennent omniprésent. Peut-être que le joueur s'arrêtera aux premiers pnjs créés, avec lequels il a imaginé des rapports pour sa propre narration. A vous de le solliciter sur des pistes inattendus, comme un grand parent à sauver, un loisir underground interdit, un amour qui se trouve dans un autre pays...
Les règles
Parce qu'une partie de jeu de rôles ne s'écrit pas comme une bande dessinée, les débuts seront chaotiques, et le PJ partira peut être sur une piste d'histoire qu'il abandonna après en avoir imaginé une meilleure. Ces changements "en cours de route" vont venir des interventions du MJ sur les points évoqués ci-dessus, mais aussi grâce à l'arsenal de règles fournis par défaut dans Savage Worlds :
- Les jets de Peur : l'annonce de sa propre mort est surement une des choses les plus terrifiante à laquelle on peut être confronté. Ne permettez pas au joueur de décider tout le temps des angoisses de son protégé.
- Les tests de volonté : souvent, le porteur se retrouvera confronté à des PNJs incrédules qui ne connaissent pas ou ne comprennent pas l'état d'urgence du PJ. Les tests de volonté, en plus d'amener des bonus aux actions, peuvent trancher sur qui prend l'ascendant entre un père et son fils, un patron et son employé, une petite amie et un porteur...
- Abusez des règles d'Interlude pour ponctuer le récit du joueur de flashback dès que vous avez besoin de temps pour réfléchir à la réaction d'un PNJ ou que votre joueur a une baisse de régime.
- la règle des scènes dramatiques est ici parfaitement appropriée pour le final de votre one shot. Une fois que le PJ sait ce qu'il veut accomplir avant de mourir, minutez, sanctionnez par le trèfle, n'hésitez pas à faire échouer si les actions du PJ ou les jets ne sont pas à la hauteur (quitte à redonner plus facilement des Jetons à un joueur malchanceux sur ses jets de dés).
Le mot de la fin
Avec Savage Worlds, l'aspect aventureux et parfois minuté de l'action sert parfaitement le propos d'un mourant cherchant à accomplir ses dernières volontés. La tragédie sociale est rarement envisagée dans les possibles scénarios de Savage Worlds, mais pour qui prend la peine de s'y risquer, il verra que les règles FFF servent l'aspect dramatique d'Ikigami à la perfection.