Faites-en une affaire personnelle

Les scénarios SaWo sont souvent portés sur l'action, et de ce fait, assez directifs. On y vise une ambiance de groupe plus que d'individus et l'héroïsme plutôt que le sordide. Et si la recette prend très bien en one-shot, sur certaines campagnes, les joueurs ont parfois du mal à se sentir impliqué par l'enjeu global décidé pour la partie. Moi-même, je suis du genre à confondre être dans mon "RolePlay" et la jouer un peu trop solo.

Si vous avez un groupe de joueurs qui commence à partir chacun dans ses délires personnels, vous pouvez maudire Gary Gygax, accuser le système de jeu de ne pas être adapté au jeu en campagne, avoir une furieuse envie de changer de joueurs, ou bien... donner aux joueurs ce qu'ils demandent.

Peter Parker serait-il vraiment Spiderman sans ses problèmes d'argent, ses cachotteries à Tante May, ses amourettes condamnées d'avance et ses amis qui ont la mauvaise habitude de devenir des super-vilains ? Ce qui ne l'empêche pas de casser la gueule aux bad asses à échéance régulière prévue par le scénario....

Une bonne série serait-elle une bonne série sans les pluies d'emmerdes qui arrivent sur les personnages principaux, saison après saison, et qui à des lieues de l'intrigue principale les rendent diablement humains et attachants ?

Si votre scénario ressemble à un bon film, dans lesquels vos personnages ont tous leur rôle à tenir, vous pouvez le transformer en série juste en plaçant le focus sur les personnages plutôt que sur l'intrigue. Après quelques scénarios passés à régler leurs petits problèmes, vos joueurs ne seront que plus réceptifs à votre intrigue de groupe.

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Use the Karma, Luke !

Il vous faut une règle rapide, simple et sanglante pour faire vibrer le coeur de vos jeunes héros ? Pas de problème, utilisons les cartes. A chaque fois que vous accordez un point d'expérience à un joueur, tirez une carte, ou utilisez le tirage du joueur au prochain round d'initiative.

Les Jetons représentent la destinée, la chance, l'influence des joueurs sur l'univers tout entier. Selon votre méthode de (re)distribution des Jetons, établissez votre propre barème de Karma. Personnellement, j'octroie beaucoup de Jetons pour les idées ou les RP qui permettent d'avancer dans le scénario. Ceux qui se retrouvent avec peu de Jetons sont donc ceux qui ont eu de la malchance aux dés et qu'aucune action du joueur n'est venue sauver. A 3 jetons et plus, j'estime le joueur en veine générale, capable d'attirer les bonnes grâce du destin car il a mouillé sa chemise au bon moment. A 1 ou 0 Jetons, le personnage est dans une phase de loose et d'égocentrisme marqué, et mérite donc d'avoir un ou deux dilemmes personnels à résoudre. A 2, c'est l'équilibre, calme plat pour le PJ, et donc pas de tirage de carte.

Si vous êtes du genre à filer des points d'expérience par grappe de 4 à la fin de la séance, tirez 4 cartes d'un coup, en alternant un évènement positif et un évènement négatif.

Cette règle s'oppose à la logique des cartes d'Aventure (Adventure Cards, non traduites), qui laissent les joueurs agir sur l'aventure en jouant des cartes. Ici, c'est le MJ qui a le contrôle des évènements, utiliser les deux règles serait comme croiser les effluves... (pour ceux qui n'ont pas connu SOS Fantômes, décryptage : c'est mal !)

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Le tirage des cartes

Impliquer un personnage dans une intrigue personnelle, c'est s'attaquer à son petit monde, pas forcément méchamment (se faire virer par Jameson peut même devenir marrant à la longue), mais de manière à l'impliquer émotionnellement. La couleur détermine quel moteur émotionnel vous allez devoir allumer, et la valeur la cible de l'évènement.

Interprétation des couleurs
  • Pique : Le Mensonge, la Duplicité
  • Coeur : La Jalousie, la Convoitise
  • Carreau : La Perte, le Deuil
  • Trèfle : Le Manque, le Désespoir
Interprétation des valeurs
  • le Un : le Corps
  • le Deux : la Fortune
  • le Trois : un Véhicule
  • le Quatre : une Maison
  • le Cinq : une Possession Importante
  • le Six : Une Relation Amicale
  • le Sept : Une Expérience
  • le Huit : La Réputation
  • Le Neuf : Le Savoir Académique
  • Le Dix : La Position Sociale, le Travail
  • Le Valet : un enfant / un disciple
  • La Dame : La Mère
  • Le Roi : le Père / un mentor
  • L'As : La Compagne ou le Compagnon (une Relation d'Amour)
  • Joker : Choisissez une valeur parmi les précédentes

Par exemple, un dix de coeur ciblera une intrigue sur un PNJ qui convoite la position du PJ, ou alors sur des complications par rapport à un prochain poste que le PJ devait occuper. Un sept de pique vise un souvenir important pour le PJ qui s'avère être un copieux mensonge. Un as de trèfle poussera le MJ à faire ressentir au PJ sa solitude ou son incapacité à s'investir dans une relation durable (plutôt que d'être tout le temps en aventure...). Un valet de carreau peut indiquer une fausse couche, une brouille avec son professeur qui oblige l'élève à se débrouiller avant la fin de la formation, etc.

Les couleurs ne comptent que si l'évènement est une merde qui tombe sur le coin du nez du PJ. Si c'est un évènement positif, il n'y a pas vraiment besoin d'imposer un champ d'action, le MJ devra s'arranger pour que le PJ l'apprécie : un souhait de longue date qui se réalise, un "cadeau du ciel", un gain substantiel, mais aussi un imprévu qui chamboule sa vie pour l'emmener sur une autre voie tout aussi intéressante.

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Quel univers pour cette règle ?

Certains joueurs n'apprécient pas que leur personnage avance au travers d'un déluge d'emmerdes. Ayant maîtrisé et joué à Ambre, où l'on doit compenser la puissance des personnages par des obstacles toujours plus importants et des manoeuvres toujours plus malhonnêtes, je dois reconnaître un certain masochisme à accepter d'être continuellement placé en situation d'échec. Toutefois, si certains groupes de joueurs vivent mal une maîtrise dans laquelle on va les pousser dans leur retranchements, Sam Raimi résume bien les univers pour lesquels il faut miser sur la notion de Karma : "A grands pouvoirs, grandes responsabilités".

Plus les PJs ont du pouvoir, plus ils sont embarqués dans des aventures assez impersonnelles. Ils peuvent sauver le monde un paquet de fois, mais c'est devant des soucis égoïstes qu'ils forgeront leur motivation et parfois retourneront leur veste. Le meurtre d'un être cher, la ruine, une réputation brisée ont fait basculé plus d'un utilisateur de pouvoirs du côté des super-vilains. Les univers transdimensionnels comme Savage Suzerain (ou Ambre) ou les voyages dans le temps accueillent également bien ces petites intrigues personnelles qui forgent la morale du personnage et l'incitent à suivre les règles ou à les contourner.

Mais la puissance du personnage n'est pas le seul critère d'éligibilité pour l'utilisation du Karma. Les univers survivaliste, post-apocalyptique ou cyberpunk accueillent aussi très bien ce surcroit de merde qui arrive dans un monde déjà difficile. Dans ce cadre, ce qui ne tue pas le PJ le rend plus fort, et le caractère du PJ sera d'autant plus trempé qu'il aura accumulé des couches de désillusions, de coups bas et de deuils mal digérés.

Malgré tout, n'oublions pas que ca reste surtout un style de maîtrise, dans laquelle vous attendrez un peu moins des PJs sur les scénarios centraux et les intrigues de groupe, et vous les accompagnerez dans leur vie, leurs amours, leurs emmerdes.

Faites-en une affaire personnelle

Trouver le ton

Pour utiliser ces évènements positifs ou négatifs, suivons les paroles de Charles Baudelaire : " La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas !". Lorsque vous tirez la carte, ne vous obligez pas à la faire jouer dans la scène qui suit, au contraire, ruminez-la, savourez-la en imaginant la réaction de votre joueur face à ce que vous avez prévu, et si vous avez un doute sur son effet, d'un pétard mouillé ou au contraire d'une mauvaise réaction du joueur, changez d'idée.

A la manière des scénaristes de roman ou de série, ouvrez toujours des pistes que vous ne refermez pas tout de suite, sciemment. Un objet étrange dont on n'a jamais compris le sens, un appel anonyme jamais éclairci, une lettre énigmatique d'un proche ou un cadeau qui arrive comme un cheveu sur la soupe. Ces éléments scénaristiques seront des accroches idéales pour vos évènements parfois des séances plus tard, et on vous attribuera l'héritage d'un Machiavel lorsque les joueurs médusés penseront que vous aviez tout prévu dès le départ. Oui, mais non, vous êtes juste prévoyant et organisé.

Vous aurez également compris que l'intérêt d'animer la vie personnelle de vos PJs avec des évènements tragiques vise à titiller l'émotionnel des joueurs. Il faut que le joueur éprouve de l'empathie pour son personnage, mais aussi que le personnage garde des points communs avec le joueur, surtout dans la partie émotionnelle. Si vous n'avez pas peur de bousculer vos joueurs (et s'ils sont assez matures pour ne pas se fâcher avec vous après), n'hésitez pas à utiliser ce que vous connaissez de leur histoire, de leurs failles émotionnelles, et transposez-les dans la vie du personnage. Un joueur qui a perdu un de ses parents sera forcément impliqué dans des intrigues qui s'attaquent aux parents du PJ. Un joueur jeune papa sera forcément très réceptif à toute intrigue visant son enfant (demandez l'effet du jeu vidéo Heavy Rain à un jeune père, les réponses seront unanimes). Votre pote se désespère de trouver une copine, faites lui vivre par son personnage de grands rebondissements sentimentaux... Et si le joueur envisage d'acheter une maison, une équipe de scélérats qui vient lui piquer le vaisseau spatial de son personnage devrait ne pas le laisser de marbre. Ainsi que je le disais dans le titre : "faites-en une affaire personnelle" (et faites la paix après la séance).

Malheureusement, il y a aussi des joueurs qui ne vivent le jeu de rôles que pour son aspect ludique, et qui ne s'impliqueront jamais émotionnellement dans leur rôle. N'en soyez pas triste, vous êtes son maître de jeu, pas son psy. Le simple fait d'avoir à rajouter des lignes dans son background pour avoir vécu ça et ça est une victoire.

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