Donner le pouvoir
09 juin 2013Savage Worlds est fait pour adapter nos histoires et univers préférés en jeu de rôles. Néanmoins, mélanger les supports recèle tout de même quelques inconvénients. Un des problèmes majeurs qui arrivent quand on s'attèle à l'écriture d'un scénario dans un univers déjà constitué, c'est que le meilleur rôle est déjà attribué : dans un roman, un film, un jeu vidéo, c'est le héros de l'histoire qui résoud le problème et qui a la destinée géniale. Trop souvent, on sera tenté, pour ne pas faire de l'ombre aux PNJs qu'on aime tant, à donner aux PJs des rôles de second plan, qui ne risquent pas d'interférer avec la trame principale.
Le pouvoir unique
Pour la plupart des récits calibrés pour un seul héros, ce dernier bénéficie d'un pouvoir ou d'une capacité unique qui va justement justifier de sa réussite et d'être bien vu par les dieux. Parfois, il s'agit d'un pouvoir qui lui est tombé dessus comme ça ("Bonjour, vous êtes l'Elu") ; parfois, la capacité revient du seul mérite du personnage, mais elle ne va vraiment avoir une incidence dans l'univers de jeu qu'au début du récit.
Nous, MJ, avons un défaut (enfin, la plupart d'entre nous, je ne doute pas que vous fassiez exception). Les petits pouvoirs bien secrets de l'univers, on se les réserve pour nos PNJs grand format. Histoire que quand ils arrivent à rencontrer les PJs, ils aient un petit plus qui permet de les mettre en valeur.
C'est ce réflexe même qui rend nos PJs incapables d'obtenir le casting auquel ils ont droit. Dès le départ, réfléchissez à un pouvoir que vous allez donner à vos joueurs pour qu'ils s'amusent, cassent votre univers probablement, mais soient en position de changer le monde. Si vous attendez la moitié de la campagne pour leur offrir de transformer la trame de votre histoire, vous avez aussi perdu la moitié de la motivation de vos joueurs.
Dans un cadre pulp, ca ne dérange pas que les PJs aient un pouvoir rare, secret, imparable, vraiment utile pour le scénario : au contraire, vous aurez des joueurs tout de suite accrochés à votre trame scénaristique.
Par exemple, mettons que vous vous mettiez en tête de faire jouer vos joueurs dans une adaptation de Witchblade/Darkness. S'ils ne jouent pas un porteur d'objet, même s'il est prévu qu'ils récupèrent l'objet plus tard, l'intérêt des joueurs sera difficile à éveiller. Donnez-leur un artefact, et là vous aurez tout de suite leur attention. Ils voudront savoir au plus tôt d'où vient leur pouvoir, ce qu'ils peuvent en faire, et sauront assez vite qu'ils ont des ennemis ayant envie de les déposséder...
Le moment unique
Dans un scénario classique, ce sont les personnages qui vont sauver le monde et remporter les honneurs (ou tuer tout le monde et régner sur un tas de cendres pour l'éternité). Dans une adaptation, le danger, c'est que le maître de jeu oublie que son posse devrait avoir tous les droits sur l'univers, par trop de questions sur comment faire que les PJs ne croisent pas les PNJs de l'oeuvre (ou qu'ils les croisent).
Si vous avez donné un pouvoir spécial à chacun de vos PJs (voir paragraphe précédent), ce seront eux les héros. Des scènes d'anthologie doivent être préparées pour faire ressentir à toute la table qui tirent les ficelles du scénario.
Une autre défaut que tous les MJs (enfin la plupart, vous avez compris) ont tendance à avoir, c'est de bâtir leur scénario comme un fil d'ariane : les PJs ne savent rien au début, à la moitié du scénario, ils ont la moitié des infos, et à la fin de la campagne enfin ils ont pu apprendre tout ce qu'il y avait à savoir.
Un personnage pulp n'avance pas comme cela. Parfois, il a déjà toutes les infos, mais il a un handicap qui l'empêche de les exploiter correctement. Parfois, il peut prendre le contrôle sur la situation parce qu'il sait les tenants et les aboutissants. Ca ne rend pas la suite de l'histoire moins captivante ou réalisée d'avance. Par contre, les joueurs ont les cartes en main, et doivent maintenant veiller à ne pas perdre la chance unique de doubler les PNJs et de faire le malin.
D'ordinaire, les films d'espionnage présentent des personnages qui découvrent les infos avec le spectateur. Imaginez que vous commencez par ce moment étrange dans la vie d'un espion ou son passé le rattrape et où il quitte ses missions habituelles pour mener sa vendetta ou apprendre la vérité. Dans ce cadre, l'agent connaîtra déjà la plupart des PNJs, et bénéficiera presque toujours de l'effet de surprise. Reste à voir si son plan sera bon...
Des Extras qui interviennent
Dans un univers de héros, ce dernier s'entiche d'une jolie compagne, s'entoure de compagnons émérites et rencontre les PNJs stratégiques pour la suite de leurs aventures.
Parce qu'ils sont un groupe et qu'ils ne sont pas toujours sages, ces seconds couteaux sont très importants pour la suite de l'aventure. Le MJ aux nombreux défauts va sûrement laisser venir les relations bâties autour des PJs, jusqu'à permettre au joueur de faire un Extra. Si vous les gérez de cette manière, vous n'êtes pas dans le pulp. Vous ne faites que fournir de la chair à canon facile à votre PJ. Ok, c'est le joueur qui joue les Extras, mais il a intérêt à leur donner un rôle dans leur grande production hollywoodienne, sinon charge à vous d'en faire des traîtres, des conseillers de mauvais augure, des puits sans fonds financiers, triturez-les jusqu'à temps que le joueur veuille vous le rendre. Rappelez-leur qu'on se souvient plus de Ian Solo, Cheewie ou R2D2 que de Luke Skywalker. Même Jar Jar Binks réussit à faire plus parler de lui qu'Anakin... Et surtout n'attendez pas les combats pour que les Extras servent à quelque chose, prévoyez-leur une place douillette dans votre campagne intersidérale.
All for One : Régime Diabolique établit dans le même genre d'idées des règles pour bien jouer les laquais, ces individus gognenards qui suivent les mousquetaires dans l'ombre. Il existe également une règle maison des Jetons noirs (qui traîne sur le sden). Pourquoi ne pas octroyer un Jeton noir à un PJ lorsqu'il est sauvé par son laquais (lequel gagne un Jeton pour lui par la même occasion) ? Ainsi, le lien de dépendance dans la logistique et parfois plus se manifeste de manière concrète dans le jeu.
A grands pouvoirs...
... grandes responsabilités, aime à dire Spiderman. Les joueurs ne sont pas habitués à commencer d'emblée avec les cartes en main, après des heures de jeu vidéo à planter des araignées avant d'avoir leur première armure. Avec les Extras, nous avons évoqué la contrepartie, une exigence de vivre des grandes aventures et d'emmener avec eux ceux qui les suivent. Cette pression permet de rendre crédible l'enjeu final de votre scénario, qu'il soit un changement de régime, la tombée d'un oppresseur, la destruction d'une force maléfique, l'échec d'un complot contre une personnalité essentielle du monde, et ainsi de suite. Si les PJs usent de leurs capacités extraordinaires sans opposition, ils ne prendront pas réellement conscience que le dénouement est exceptionnellement dramatique. Comme dans les bonnes séries, les meilleurs héros se font voler leur pouvoir, le perdent pour le retrouver, l'utilisent contre les mauvaises personnes et ne sont pas là pour l'utiliser quand il s'agit de leurs proches... Bernard Werber dit que tout histoire est un parcours initiatique ; sans être aussi catégorique, assurez-vous pendant la rédaction de votre fresque rôlistique que chaque joueur pourra goûter à des moments de gloire mais aussi de détresse. Et comme vous leur avez donnez beaucoup au départ, il faudra peut être être plus dur au milieu, pour que le dénouement soit vécu comme un grand succès.